Helvetia auf Reisen (BS)

Elle est assise là, sur un pilier du pont de l’Unterer Rheinweg à Bâle, et contemple le monde, au loin, par-delà la frontière. Elle ne ressemble en rien à l’Helvetia qui illustre diverses pièces de monnaie ou des timbres : elle n’est pas debout, fière et vigilante, mais assise, et semble plutôt lasse et songeuse sur son socle. Elle s’est débarrassée de son javelot et de son bouclier, de sa cape et de sa valise, déposés dans son dos. Helvetia délaisse son quotidien et part en voyage…

De l’ancienne Confédération et de la fondation de la Suisse moderne…

En tant que personnification emblématique de la Suisse, Helvetia a déjà un long voyage derrière elle. Dans sa déclinaison avec des fruits et du fromage, elle illustre l’espace géographique et incarne la richesse et la productivité. Dans sa version politique, représentée avec des armes de tous types et une couronne de laurier, elle symbolise des valeurs telles que la liberté, la vigilance, la concorde et l’intrépidité.

L’« Helvetia politique » sert d’allégorie de l’État suisse dès le XVIIe siècle, époque à laquelle les formes de représentation de la Confédération sont peu développées, à l’inverse de celles des cantons confédérés. Au siècle suivant, elle devient la principale figure symbolique et est donc revalorisée. Ce mouvement se déroule dans le contexte du républicanisme, qui accorde une grande place aux personnages féminins. Après 1800, les représentations d’Helvetia servent de plus en plus à exprimer le sentiment d’identification politique et nationale de la population, ce qui accroît son importance et lui vaut de se retrouver sur des objets de la vie quotidienne comme les pièces de monnaie, les timbres postaux ainsi que sur des ouvrages d’architecture. La pièce de deux francs et le Palais fédéral à Berne comptent certainement parmi les exemples les plus célèbres.

… au féminisme

Au fil de son long périple, Helvetia est devenue bien plus qu’un « pur » symbole de l’identité nationale et de l’unité. Sans biographie ni contenu sémantique, l’allégorie peut faire l’objet de perceptions et d’appropriations multiples. C’est ainsi que divers mouvements sociaux la réinterprètent pour en faire l’égérie de leur critique du statu quo. Bettina Eichin, créatrice de la version bâloise d’Helvetia en voyage, la décrit comme suit : « L’idée de base […] est que l’Helvetia représentée sur la pièce de deux francs abandonne son quotidien et s’assoie, fatiguée et songeuse, sur l’encorbellement. » L’artiste veut ainsi attirer notre attention sur l’image de la femme dans la société : « La sculpture montre deux traits qu’on néglige chez la femme, la fatigue et la réflexion. Il m’importe de les montrer. Helvetia regarde le monde, vers l’aval du Rhin, au-delà de la frontière. » La statue est ainsi devenue un emblème des femmes qui l’ont recouverte d’affiches et de foulards lors de leur grève en 2019.

Vers où se poursuit le voyage ?

La sculpture nous interpelle à maints égards – que ce soit à titre d’individu ou de société – et vise juste : le voyage d’Helvetia commémore sans glorifier, même avec un épuisement certain, le chemin parcouru par la Suisse, entendue comme État politique et société. L’allégorie qui scrute par-delà la frontière semble nous rappeler combien il est important de regarder parfois « plus loin que le bout de son nez ». À notre époque trépidante, mondialisée et envahie par la technologie, la femme assise, plongée dans ses pensées, invite à prendre une grande inspiration, à faire une pause pour se demander dans quelle direction poursuivre le voyage ? Lasse, songeuse, et pourtant forte, Helvetia nous montre en effet qu’au vu des multiples défis sociaux, tels que l’égalité des droits ou des chances, le chemin est encore long.