Henri Guisan (VD):
Le cheval apocalyptique du général
Profil
Lieu: | Place du Général Guisan, 1006 Lausanne (VD) |
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Type: | En mémoire de personnes |
Inauguration: | 1967 |
Matériel: | Bronze |
À propos du monument
« Pauvre général, pauvre cheval ! », pouvait-on lire dans Le Courrier du 28 juillet 1966, avant même l’inauguration du monument. Ici, la question n’était pas de savoir si l’homme méritait une statue, mais bien de trouver une statue qui fût à la hauteur de l’homme. Si le général Guisan a su faire l’unanimité en Suisse et conquérir le respect de tous, de l’officier à l’objecteur de conscience, son monument, on l’aura compris, n’a pas rencontré la même adhésion.
Le général Guisan meurt le 7 avril 1960, à l’âge de 86 ans. Cinq jours plus tard, une foule innombrable (estimée à quelque 300'000 personnes, selon certains) assiste en silence au mémorable cortège funèbre traversant Lausanne. Mené par un palefrenier, la selle tristement vide, Kuer-Sus, le dernier cheval du général, suit directement le corbillard où gît sur un affût d’artillerie le cercueil de son maître. Il précède ainsi la famille et les milliers d’officiels et de militaires formant le convoi funèbre. Cette image marquera les esprits.
Un général en manteau juché sur une gazelle dansante
Quelques mois seulement après la mort de Guisan, une souscription publique a été lancée pour l’édification d’un monument en son honneur. Après deux premiers concours ayant fait chou blanc, le choix sera porté sur le projet de statue équestre du sculpteur zurichois Otto Charles Bänninger (1897-1973). Cette décision sera hautement controversée et suscitera une vaste polémique. Un comité d’opposition sera constitué pour l’occasion en 1966, sous le nom de « Mouvement national monument général Guisan ».
Aux yeux des détracteurs du projet, il paraissait inconcevable de placer la statue à Ouchy, à l’écart du centre-ville. Mais surtout, on a vertement critiqué la silhouette de la monture, comparée à une « gazelle dansante », et la posture du général : « Ce monument est inacceptable. […] 1. Le cheval ressemble à tout sauf à un cheval. Les allures et les proportions sont celles d’un sujet apocalyptique inconnu chez nous. 2. Le général y est placé d’une façon rigide […] qui est absolument contraire à la manière naturelle qui le caractérisait […]. 3. Le général est en manteau. Or tous ceux qui l’ont connu savent pertinemment que jamais le général ne montait en manteau, sauf à quelques rares exceptions » (Le Courrier, 28 juillet 1966). Malgré l’indignation du Mouvement national, le projet de l’artiste zurichois verra bel et bien le jour et l’inauguration du monument sera célébrée en grande pompe à Ouchy le 27 mai 1967.
Un cheval ambigu, emblématique du pouvoir dans un pays non belligérant
Un article de la Neue Zürcher Zeitung du 3 juin 1967 prendra la défense d’Otto Bänninger, jugeant que le sculpteur a parfaitement rempli sa mission : il a su présenter le général comme un citoyen parmi d’autres, proche de l’observateur, et adapter le motif de la statue équestre à la spécificité suisse, en réduisant l’aspect monumental et le registre de la puissance qui vont habituellement de pair avec cette tradition iconographique, comme en témoignent nombre de statues du genre cavalant fièrement sur les places de villes à l’étranger.
Cette représentation bien helvétique d’un général proche des civils aurait d’ailleurs peut-être plu à Guisan lui-même. Il semblait soucieux de soigner son image de leader naturel, non dénué d’un certain prestige, mais attaché avant tout aux valeurs de la terre et du peuple, loin de l’archétype martial du représentant d’une autorité exclusivement militaire. À l’occasion de la polémique autour du monument équestre, son chauffeur André Weissbrodt se souviendra des réflexions de Guisan sur le monument qu’il savait qu’on érigerait un jour en son honneur : « Voyez‑vous, Weissbrodt, j’espère que le ou les sculpteurs sauront éviter le genre martial, “hoch zu Ross” comme disent nos compatriotes. J’ai servi une armée, un peuple avant tout. Puissent les sacrifices de toutes les Suissesses, de tous les Suisses, être avant tout rappelés aux générations futures » (lettre de André Weissbrodt, appointé chauffeur-militaire, Lausanne, 30 mars 1966).
Entre temps, l’œil s’est sans doute habitué à cette monture aux airs d’antilope et à ce général un brin rigide dans son manteau. Et, avec le recul, c’est le culte du héros national qui s’est peut-être quelque peu essoufflé, à la faveur d’une relecture de la Seconde Guerre mondiale. Guisan se retrouve écartelé entre mythe et réalité. Finalement, ce cheval qui n’en est pas vraiment un lui sied peut-être mieux qu’on ne le pense.
Références
- Dossier sur la polémique autour du monument équestre au Centre d’histoire et de prospective militaires à Verte Rive (Pully/Lausanne).
- Film « Obsèques du général Guisan » (11.43 min., consulté le 15.02.2021).
- Kaenel, Philippe et François Vallotton (2005) : Le général et son cheval : figures du pouvoir militaire en démocratie, à l’exemple de la Suisse, in : Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles, Objets et insignes du Pouvoir. https://doi.org/10.4000/crcv.114
- Perrin, Olivier : Nouvelles fissures dans la statue du Commandeur, in : Le Temps, 08.04.2020 (consulté le 15.02.2021).
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